Je ne connais aucune ville comme Venise qui peut être visitée mille fois sans que son mystère ne soit jamais levé. Quelques jours de vacances cet hiver furent l’occasion d’aller s’y perdre avec délice. Le mystère tient pour l’essentiel de sa situation géographique unique au monde, de son architecture - dont la préservation se fait au prix d’une séduisante décrépitude - sans oublier la brume qui enveloppe la ville à cette saison. Mais le mystère plane aussi sur sa gastronomie. Le passage des marchands d’épices, qui firent la grandeur et la prospérité de la ville au 15 ème siècle, et l’exceptionnelle fertilité des sols qui bordent la lagune, constituent un patrimoine culinaire riche et singulier. Certaines spécialités sont même proprement vénitiennes, inconnues dès qu’on dépasse les frontières de la ville. Il en va ainsi des sarde in saor : les sardines sont d’abord frites puis arrosées d’un mélange brûlant de vinaigre, d’huile d’olive et d’oignons confits. Interdit de manger ce plat avant 48 heures pour que les parfums s’expriment et se mélangent. Enfin, le mystère plane éternellement sur les restaurants de Venise, tant les bonnes tables sont rares, semblant presque se cacher des touristes. Ayant été régulièrement invitée chez des amis résidents, je n’ai pas eu l’occasion de découvrir toutes les bonnes tables de la ville mais je peux néanmoins vous faire partager quelques unes de mes expériences, quelques tables qui me semblent fréquentables. Ce qui est beaucoup pour Venise !
Si l’envie vous prend d’une pasta sans façon, dans une ambiance chaleureuse, très typique, arrêtez vous aux « Gondolieri » à deux pas du musée Gughenheim. Dépaysement assuré. Un peu plus loin sur le zattere, une pensione s’ouvre sur la lagune et la Guidecca. Honorable, la table n’est pas non plus extraordinaire mais la situation en fait l’une des terrasses les plus agréables de la ville. Et abordables. Plus chic, pour ceux qui rêvent d’être la où se retrouve la belle société vénitienne (c’est aussi le QG des français), l’hotel Monaco, à 2 pas de St Marco propose une délicieuse cuisine à peine modernisée. Je garde un souvenir ému de leurs gnocchis de zucca (potiron) à la sauge et ricotta fumé. Le décor, franchement contemporain, s’ouvre sur le grand canal. A éviter si l’on cherche l’ambiance de la Venise décadente ! Avant de dîner, allez absolument boire un verre en face, dans le célébrissime Harry’s Bar. Cet endroit qui ne paie pas de mine ne cesse d’être la cantine des grands de ce monde depuis les années 30. Pas une star, pas une comtesse qui ne soit venu y manger un croque monsieur, un hamburger (viande exceptionnelle), goûter un carpaccio (inventé ici) ou un risotto. Inutile d’y prendre un repas, à moins de proposer de faire la plonge pour payer une addition indécente.
Pour info, les locaux se voient appliquer un tarif moitié moins cher. Contentez vous de demander un Bellini au bar (ce cocktail qui mêle prosecco et nectar de pêche est également une création de la maison) mais sachez qu’il vous en coutera tout de même 20 euros !!! A vivre une fois.
Si vous voulez gouter une cuisine vénitienne (beaucoup de poissons bien sûr) habilement revisitée, foncez à « alle testiere ». C’est certainement un des meilleurs « bistrots » de Venise. Prenez soin de réserver. Ceux qui voudraient connaître une expérience gastronomique inoubliable et qui en ont les moyens (80 euros environ) visiterons l’hotel Baeur - sans doute le meilleur de la ville - et son restaurant gastronomique qui offre l’une des plus incroyables terrasses de la Serenissime. Le chef est incontestablement très doué et se révèle à l’aise dans tous les registres : allusion à la cuisine asiatique avec une raviole de seiche crue, maitrise parfaite de la technique du risotto, divines pâtes à la trévise et aux fruits de mer mais aussi excellentes spaghettis tomate-basilic toutes simples. Enfin, la cuisson des poissons de la lagune ne souffre aucun reproche et l’on sort de là émerveillé et léger !
Dernière étape sur votre parcours gourmand : l’ile de Burano et ses maisons de pêcheurs aux couleurs bariolées. Pas grand-chose d’autre à faire que de s’y promener et de faire une halte dans une trattoria magique : le Gato Nero. La salle qui accueille les familles sur de grandes tables de bois ne paie pas de mine mais les grandes maisons pourrait envier le sourire et l’accueil qui participent de la qualité de cet endroit. Demander sans hésiter à partager le risotto maison (à base de bouillon de poisson de la lagune, à tomber), les pâtes à l’encre et aux fruits de mer (masterpiece), les tagliatelles à l’araignée et pourquoi pas une grillade d’anguille, fraichement pêchée dans la lagune. Nous, on a tout mangé, sans oublier le tiramisu. Pour l’anecdote, ne loupez pas les deux petites maisons situées sur le quai, en face du restaurant, elles appartiennent à Philippe Starck. Gageons que ce gourmand impénitent n’a pas choisi de s’installer là par hasard !