Il représente peut-être à lui seul l’artisanat français porté à son paroxysme d’exigence et d’authenticité. Le parcours de cet enfant sauvage de Bretagne force le respect, parfois les larmes, construit contre les vents et les marées d’un destin qu’il a rendu hors du commun. Le premier restaurant ou l’évidence de son talent va trouver un écho chaleureux et pudique : c’est celui de la mère Brazier à Lyon. Là-bas il comprendra ce degré suprême de l’art : la simplicité » comme l’écrit Curnonsky à propos de cette mère, qui sera un peu la sienne.
Il cultivera cette cuisine de femme, la portera aux nues, sans jamais rien concéder à la facilité.
C’est ensuite dans l’ombre du charismatique Claude Peyrot au Vivarois qu’il grandira. Quelques années plus tard, quand le second, devenu chef prend son envol, Peyrot lui écrit « Tu es mon meilleur maître, tu es Mozart, je ne suis qu’un Karajan ». Le maitre de la modestie crée alors, avec sa femme Danièle complice sans laquelle rien n’aurait été, un restaurant dont les lettres sont gravées à jamais dans l’histoire de notre gastronomie : L’ambroisie. Là encore, le parcours est semé d’embuches, pas de trêve, pas de repos, pas de profit, autre que celui de la gloire, qui se tisse lentement derrière cette cuisine de vérité et de silence, qu’il appelle si joliment « cuisine de civilité ».
Les saisons sont sa religion, son crédo, chaque service est un émerveillement. « La question du succès ne m’intéresse pas » martèle t-il. On le croit mais le succès ne frappe pas avant d’entrer cher Bernard.
Mousse de poivrons doux au coulis de tomates acidulées, chartreuse de homard et de saint jacques au beurre d’anis, escalopines de bar à l’émincé d’artichauts et caviar ou encore la miraculeuse tarte fine au chocolat noir font courir les maitres du monde. Ils se retrouvent sous les lambris de ce décor grand siècle revisité par François Josef Graf. Bill Clinton y fera « son meilleur repas » dira t-il, invité par Jacques Chirac, avant Barack Obama et François Hollande. Après avoir donné les clefs d’une irrésistible ascension à son fils Mathieu et avoir été rejoint par sa fille Alexia en pâtisserie, Bernard tire sa révérence dans quelques mois. Partez tranquille cher Bernard, l’ambroisie, nourriture des Dieux dont le nectar assure l’immortalité, coulera dans vos veines et dans nos cœurs pour longtemps encore.