A visto de naz

A visto de naz

Laissez-moi vous raconter une histoire plutôt singulière. En vacances aux Bahamas cet été (et oui, je reconnais que « je ne m’embête pas ! »), j’eu l’occasion de rencontrer un jeune chef italien, Marco, qui officiait dans une maison voisine de la nôtre. En feuilletant mon livre sur le canard (Le canard de Julie), le propriétaire de la maison, un banquier fédérateur et généreux (tout arrive !), me demanda si la femme qui m’y enseigne l’art de confire pouvait prendre son chef en « stage de gras ». Un peu interloquée à l’idée de tracer une ligne directe entre Harbour Island, Bahamas et Le Rocassou, Quercy, je m’entendis pourtant lui dire que cela me semblait être une bonne idée. De retour à Paris et sans y croire vraiment, j’appelais l’ineffable Odette pour lui proposer le projet élaboré à 10 000 km de chez elle. Jamais lasse d’aventures, elle répondait positivement, émettant tout de même une réserve : « bien sûr ma chérieue, je le reçois volontiers, à condition qu’il soit sympathique ce petit... ».

Je lui assurais qu’il remplissait pleinement la condition et appelais l’ami banquier pour organiser le déplacement. Odette se proposa de m’envoyer la liste de ses spécialités pour leur permettre de choisir. Je vous laisse déguster le menu (avec commentaires d’origine) avant de vous entraîner au Rocassou : « Grosse truite farcie, truites au lard (excellent), escargots, terrine de chevreuil, ris de veau aux cèpes, magrets en chemise (avec foie gras), tourte salsifis et gésiers, poule au pot, canard aux olives, potée et petites miques farcies, canard gras confit, poitrine de veau farcie, navarin d’agneau, lapin au cidre, gigot et cassoulet, truffade et aligot, lentilles petit salé et saucisses, pescajoune aux pruneaux, clafoutis et gâteau au noix. Avec l’impatience de vous revoir ».

Impossible de résister au plaisir d’assister à la rencontre entre Marco et Odette. Sans compter que si Marco assurait comprendre le français et Odette l’italien, je craignais que l’échange ne peine à trouver sa voix. La cuisine est un langage disent les anthropologues, l’occasion m’était offerte sur un plateau d’en avoir la preuve ! Me voilà donc embarquée pour Rodez, accompagnée de mon précieux assistant Julien qui - diplôme d’école hôtelière et de journalisme en poche - ne voulait manquer cette rencontre au sommet sous aucun prétexte.

Odette avait tout organisé, réquisitionné les copains préposés à tel ou tel plat. Le Petit salé fut l’affaire du discret et talentueux Francis, voisin retraité de la Banque Populaire. Colette, son épouse, était préposée au Gâteau aux noix tandis que Michel avait rapporté un panier plein de cèpes fraîchement cueillis pour accompagner dignement son Magret en chemise. Marco ne quittait pas Odette, elle-même tout à son cher et tendre canard qu’elle s’attachait à mettre dans tous ses états. Tous autour de la longue table de bois qui tient lieu de salon nous nous affairions chacun à une tâche précise, sans louper un gramme de ce que faisait notre voisin.

Seul hic, lorsque nous demandions à Odette de nous préciser les quantités ou les temps de cuisson, il nous fallait nous contenter d’un évasif « a visto de naz ! ». Dans le même registre, quand nous nous inquiétions de manquer de tel ou tel ingrédient elle nous rappelait de ne jamais oublier le dicton de la région : « article 22 : démerde toi comme tu peux ! ». Au programme gastronomique déjà copieux, vinrent rapidement s’ajouter quelques spécialités italiennes dont je ne pû m’empêcher de demander les secrets à Marco. C’est ainsi qu’après 3 jours de cuisine intensive, je tenais les recettes " éprouvées " des confits, frittons, foie gras, petit salé mais aussi des gnocchis de pomme de terre (inoubliables) et des tagliatelles maison. Bref, un séjour idyllique aux pays des bonnes graisses, qui, sans mentir, valait bien les Bahamas!