Ce que tu m'as transmis

Ce que tu m'as transmis

Je pense que maman a quelque chose qui forcément m’a influencée et en tout cas dont je suis admirative... c’est difficile à exprimer, mais elle a une honnêteté intellectuelle qui est vraiment très rare, avec beaucoup d’absolu... En dehors de ça, je pense qu’il y a un mélange étonnant d’intransigeance et de grande tolérance. Une intransigeance, parce qu’elle voit les choses d’une façon et qu’elle a parfois du mal à concevoir qu’on ne les voie pas comme elle. Et en même temps, malgré tout, il y a une tolérance, car c’est quelqu’un d’extrêmement ouvert d’esprit, qui est capable d’écouter les autres, de donner des conseils formidables...Tout sauf l’indifférence. Absolument tout sauf l’indifférence. Il y a des moments d’ailleurs où je me dis : « Mais qu’est-ce que ça doit être fatiguant pour elle d’être aussi peu indifférente. »

NICOLE : Tu es moins intransigeante. Tu es intransigeante pour certaines choses, mais certainement moins que moi.

JULIE : Oui, mais je n’ai pas le choix. Une fois de plus, c’est une autre époque. Déjà, je suis assez exigeante ; si je le suis comme maman, je sais que je vais dans le mur. Il n’y a même pas de questions à se poser. Elle a un désir de liberté assumé, et le désir de s’en donner les moyens et ça, c’est sans doute quelque chose qu’elle m’a transmis, l’autonomie, la liberté... Dans sa relation avec les hommes, avec les autres, et puis forcément avec son enfant. Bon après, j’en ai fait ce que j’ai pu, mais je le ressens encore aujourd’hui. Il n’y a pas eu de... principes moraux édictés comme ça et auxquels il ne fallait pas déroger. Elle me disait, ou elle me laissait entendre que je pouvais faire ce que je voulais. De toute façon, le principal, c’était que je le souhaite, que je le fasse bien et que j’y mette toute ma passion. Mais à aucun moment elle ne m’a bridée, elle ne m’a mis d’objectifs, ce qui m’a beaucoup libérée. D’ailleurs, récemment, j’ai fait un dîner de copines, comme souvent, et on a comparé nos expériences. Toutes disaient que, parfois, elles n’arrivaient pas à avancer, une espèce de force d’inertie qu’elles n’arrivaient pas à dominer. Et j’étais la seule à ne pas avoir ce sentiment-là. Pour moi, tout est possible ; il suffit de le vouloir. Et je me suis rendu compte que c’était certainement lié à mon éducation :

maman m’a donné l’impression que tout était à peu près possible, à travers sa vie, son expérience, et son état d’esprit...

Et puis, surtout, elle ne m’a pas transmis la peur de l’échec. Au contraire, elle l’a érigé presque en principe, en disant : « Écoute, fais et puis on verra bien. » Alors que mes copines dont les parents ont dit : « Il faudrait que tu sois comme ci, il faudrait que tu sois la meilleure de la classe, etc. », elles ont peur de l’échec. Donc, elles n’ont pas l’audace que peut donner cette liberté-là.

NICOLE : Je crois qu’on transmet malgré soi ce qu’on est, ce qu’on fait et ce qu’on dit.

JULIE : Je me rends compte d’une chose qui est à la fois une force et une faiblesse, c’est que j’ai beaucoup de mal à installer une relation qui ne soit pas une relation exclusive comme je l’ai eue avec maman : je ne suis pas du tout à l’aise en groupe, autour d’une table ; pour moi, c’est la panique. J’exagère un peu, parce que maintenant les choses se sont apaisées. Néanmoins, je ne prends pas de plaisir. Finalement, je n’aime que la relation de couple, de duo " pas dans le sens d’un homme et une femme, mais d’un duo. Et ça, c’est évidemment induit par notre histoire. En même temps, c’est générateur d’émotions parce que je pense que maman m’a appris à assumer mes sentiments et les témoignages de sensualité. Je n’ai jamais eu peur de parler de moi, comme je le disais par rapport à mon père. Une capacité à me confier. Je n’ai jamais eu peur d’aller vers elle et de lui parler, et c’est quelque chose que je reproduis énormément, puisqu’on me dit " et je suppose que c’est vrai " que je materne énormément : mes copines, mon mec. Je le ferais peut-être un peu moins quand j’aurai des enfants. En fait, pour moi,le lien le plus spontané vers l’autre, c’est de materner...

Extrait de l’ouvrage « Mères et filles » d’Ariane et Béatrice Massenet aux éditions Aubanel