Bonjour,
Cette fois, je ne vous livre pas un ouvrage de cuisine mais plutôt un guide du manger-en-paix. Loin d’être un traité directif, c’est plutôt le témoignage d’un parcours et la réponse à la question que l’on me pose " heureusement ! " encore si souvent : comment faites-vous pour rester mince tout en pratiquant votre métier ? Entendez : comment faites-vous pour ne pas craquer et maintenir une alimentation équilibrée ?
Je suis étonnée de constater à quel point le rapport à l’alimentation est sujet tabou en France. Il est très mal vu d’en parler autrement qu’à travers les notions très positives de convivialité, de partage, d’hédonisme, de tradition, de gastronomie... La cuisine, la « bouffe », c’est tout cela, bien sûr, et cela doit le rester avant tout. Pourtant notre nourriture est de plus en plus souvent source de tourments, de déséquilibres et de privations. Il n’est pas si aisé, pas si naturel d’avoir une alimentation équilibrée, saine et décomplexée. La puissance de la publicité, qui plébiscite une offre alimentaire hypertrophique, nous soumet en permanence à la tentation, tandis que les médias nous invitent à une alimentation très normée et maîtrisée. Difficile alors de s’y retrouver !
L’explosion de la cellule familiale, l’avènement des nourritures nomades, la solitude dans les villes ont profondément changé nos comportements alimentaires. Une grande partie de ma génération a grandie dans une liberté alimentaire absolue. Dans les années 70, l’américanisation et l’industrialisation de la nourriture étaient autant de signes de progrès. La plupart des femmes y voyaient l’occasion de s’affranchir de ces fourneaux auxquels elles avaient longtemps été cantonnées. Comme dans d’autres domaines de la vie quotidienne, les interdits, les obligations ont volé en éclats. La transmission et les référents avec. Aujourd’hui, la prise de poids des occidentaux et autres habitants de pays industrialisés (10% d’obèses en France), témoignent de l’incapacité d’un grand nombre d’entre nous à identifier un modèle alimentaire idéal et à s’y tenir. Cette alimentation idéale ne serait donc pas instinctive comme on l’a longtemps cru ?
Il nous faudrait donc apprendre à manger comme l’on apprend à lire ou à parler ? Je le crois intimement et les témoignages et autres questions que je reçois régulièrement me confortent dans cette voie. J’ai fait mon éducation alimentaire (c’est presque Flaubertien !) toute seule. J’ai eu la chance de recevoir des caisses d’amour et d’attention qui valaient bien des carnets de recettes. Mais cela n’a pas été si facile que ça. Les régimes obsessionnels de l’adolescence se sont révélés aussi dangereux qu’inutiles. De quelques kilos en trop je suis passée à une dizaine en un éclair - qui se compte en 4 ou 5 petits régimes ! Dans ce désarroi, il m’a fallu rebâtir entièrement mon rapport à la nourriture. En comprendre les enjeux, les atouts, les dangers. Par nécessité, je suis passée de la confusion à la construction alimentaire.
A travers cela, j’ai eu la chance de découvrir une passion : la cuisine. En commençant à pratiquer la cuisine à 20 ans, en prêtant attention à ce que je mangeais, en me réconciliant avec la nourriture et grâce à elle avec moi-même, j’ai découvert un pays merveilleux fait d’échange, de patience, de sensualité, de plaisir, de création. C’est ainsi que j’ai perdu les kilos qui m’encombraient la tête et l’esprit. Aujourd’hui cette période est bien lointaine. Néanmoins, il me semble utile de transmettre le fruit de ces années de questionnement, d’apprentissage, d’émerveillement et de partage qui me permettent aujourd’hui de faire de la nourriture une si belle énergie.