Encore une escapade en Espagne

Encore une escapade en Espagne

Ceux qui ont lu ma chronique madrilène vont penser que je fomente un repli stratégique sur le continent ibérique. Peut être un jour. Pour l’instant, je suis invitée à Valence par une société de restauration aérienne pour laquelle je travaille à assister au salon du «catering» aérien.

Tout existe ! La première journée est consacrée au montage des stands pour les exposants, l’occasion pour moi de pratiquer mon activité favorite : l’errance active, ou la découverte d’une ville nez au vent, sans guide ni plan. Je confesse un grave péché d’inculture : l’image de la Costa Brava me faisait craindre une ville industrielle grisonnante et bruyante. Pourtant, une fois l’immense périphérie traversée, le centre historique se révèle étonnement joyeux, coloré, délicat. Un peu de la grandeur de Naples - l’exubérance et l’agressivité en moins " associée à la gaîeté de la Riviera française des années 50 (que j’ai bien connue).

Magnifiquement préservée, l’architecture de certains bâtiments gothiques ou baroques peut s’apprécier de jour comme de nuit tant l’éclairage des façades ciselées comme de la dentelle met en valeur leur caractère. Bref, j’étais aux anges mais l’étape la plus difficile s’annonçait vers 13h : trouver un restaurant agréable et typique pour déjeuner seule. J’ai poussé 100 portes de bodegas-cafeteria pour ressentir à chaque fois cette même impression de tristesse. Quand je parle du charme suranné des années 50, la décoration est elle aussi restée bloquée à ces canons là. Tables sont en formica, banquettes en skaï élimé, et chaises en bois mince façon Talon du pauvre. Le serveur, derrière son comptoir ou s’aligne les tapas de la casa est immanquablement serré dans son livré blanc et noir. Là, on a juste le temps d’esquisser un sourire et de scruter la salle façon : «mes amis ne sont pas là, zut, j’ai du me tromper d’endroit» et ressortir dar dar pour prendre une grande bouffée d’air frais. L’alternative bodega traditionnelle n’est pas plus facile d’accès : des clients en rangs serrés accoudés au comptoir verre en main dan une ambiance survoltée, situation peu propice au déjeuner d’une jeune étrangère solitaire

Bref, à 14 h 30, je m’engage dans une énième rue en m’intimant l’ordre de me poser n’importe où, mais quand on accorde autant d’importance au moment passé à table que moi, impossible de se résoudre à un compromis. Ma pugnacité devait finalement payer car je découvris un marché couvert façon Halles de Baltard " mercado de Colon- abritant marchands de fleurs, de livres, poissonnerie, épicerie et un café-restaurant prolongé par une agréable terrasse (les tables à l’extérieur ne sont pas légion dans un pays qui pense qu’à se protéger du soleil). Sans même jeter un oeil sur la carte de peur de douter encore, j’échoue à la table du restaurant, éclairé par la lumière du jour qui filtrait au travers de la verrière. Tengo Hambre ! (J’ai faim !). Considérant la guérite d’où partent les plats, je ne m’attends pas à des miracles.

Pourtant, la carte est riche et bien construite : brochettes, riz (la paëlla est un plat touristique, ici on appelle cela les «arroz» et l’on ne mélange en aucun cas viandes et poissons), salades, carpaccios, viandes à la plancha, etc...

J’opte pour un plat de la catégorie des verduras (légumes) que j’assorti d’une de leur amusantes assiettes composées (divisées en 4 compartiments dans lesquels viennent se loger, selon l’option, de délicieux poissons marinés, séchés ou fumés, de la charcuterie, des olives ou des rondelles de tomates).

Je passe ma commande comme je découvre la ville, sans demander de renseignements pour me donner l’occasion d’être surprise. Il s’agit en fait de belles lamelles d’un met aussi rare que cher chez nous : la poutargue de thon (oeufs de thon séchés), de tranches de poutargue de merlu (merluza) et d’une montagne de pétales de mojama (une charcuterie de thon à base de filet de thon salé et séché, très prisée en Espagne), le tout disposé sur des rondelles de tomate et arrosé d’un trait d’huile d’olive. A manger avec les doigts uniquement. Un plat fort en gueule, qui restera longtemps dans ma mémoire gustative. Preuve supplémentaire que la cuisine sans cuisson peut être d’un rare raffinement quand on fait intelligemment l’assemblage de très beaux produits. Emballée par ces spécialités terriblement exotiques, je me mets en tête d’en rapporter en France. Quelques marches en dessous du restaurant se trouve une épicerie fine où je fais le plein de tous les dérivés du thon (dont un filet de thon frais légèrement salé à tomber appelé «atun de ijada fresco»), de fromages espagnols (je vous conseille un brebis basque un peu fumé : l’idiazabal ahumado) et de lomo (filet) de porc ibérique, moins cher que le jambon. Je vous épargne l’addition pour ne pas me faire violence une deuxième fois mais sachez une chose, l’Espagne n’est plus ce pays rustique ou tout s’achète pour une bouchée de pain. Les espagnols ont incontestablement pris conscience de la valeur de leur patrimoine gastronomique et n’hésitent pas à la facturer au prix fort. Peu m’importe, la richesse énergétique et la puissance aromatique de ces produits imposent une dégustation en petite quantité et mes provisions devraient me permettre de tenir 2 ou 3 mois.

Bon à savoir : toutes les conserves sèches de la mer gagnent à être arrosée d’huile d’olive avant dégustation pour contraster les parfums, humidifier un peu le produits et atténuer la puissance du sel. L’ajout de citron en revanche est assez mal perçu dans le pays. Faites comme moi et n’en glissez que quelques gouttes juste avant de vous servir pour qu’il ne domine pas. Pour la suite, j’ai découvert l’un des plus réjouissants musées d’art modernes d’Espagne : le IVAM, ou se tient une exposition permanente des oeuvres d’un sculpteur majeur du pays : Julio Gonzales. Aussi indispensable pour comprendre la culture de Valencia que la dégustation de la mojama !

IVAM CENTRE JULIO GONZÁLEZ

Guillem de Castro, 118 - 46003 VALENCIA

Tel. 96 386 30 00 - Fax 96 392 10 94

ivam@ivam.es